Version française

For some reason I couldn’t help writing up a French-language digest of my book The Ethnography of Rhythm, just out from Fordham University Press.

 

L’ETHNOGRAPHIE DU RYTHME

Écriture, oralité, technologies

Haun Saussy

 

Préface par Olga Solovieva

 

Introduction: Le poids d’une parole ailée

Le sujet de ce livre est la perturbation causée par la littérature orale. Ce qu’on entend par littérature orale; comment on en rend compte (approche théorique, approche ostensive)—insuffisamment. La nécessité d’une histoire du concept, car ni l’oralité ni l’écriture n’existent en tant que telles: définitions en miroir et par défaut. Jules César et les druides, Flavius Josèphe et les aèdes. Les Anciens vs. les Modernes, et Homère, auteur de “chansons du Pont-Neuf.” Vico, Ossian, Wolf, les folkloristes du XIXe siècle. Quand a-t-on pensé pour la première fois que les textes oraux avaient une structure spécifique?

Chapitre I. Une poésie sans poèmes ni poètes

  1. “Deux ou trois cents phrases rythmées”

Jean Paulhan (1913), collectionneur des hain-teny. Une poésie de dispute. Le bien communal poétique. Les proverbes, les formules: composition par tous et par aucun. Un langage superposé au langage ordinaire.

  1. Des festivals du rythme

Marcel Granet (1919), lecteur de Paulhan. La poésie chinoise ancienne, définie par ses déficits en personnalité et en invention. “Le rythme était tout.” Les formes élémentaires de la vie poétique.

  1. Le style oral

Marcel Jousse (1925) prend fait et cause pour une civilisation de transmission orale, gestuelle, du savoir. Les verbo-moteurs. Les Formules, les Balancements. La disparition de l’auteur au profit de la Récitation. Homère, Jésus, porte-paroles de la mémoire collective. Les grands laboratoires du Style oral.

  1. La formule comme système

Milman Parry (1928), ou la mise en ordre rythmique d’un apparent chaos sémantique. Les formules nom-épithète chez Homère et leur différenciation fonctionnelle. Langage poétique, langage d’une poésie orale. Les débuts des “oral poetry studies.”

  1. Langue, parole, censure

Jakobson et Bogatyrev (1929) proposent une théorie du folklore oral centrée sur l’oubli (censure) de ce qui viole les normes. La récitation d’une œuvre orale est la parole d’une langue collective. La futilité de la censure dans une civilisation de l’écrit prouvée par l’histoire.

Chapitre II. L’écriture comme moyen de notation

  1. Le cyborg épique

La théorie de la composition collective orale: le robot poète. Peur du mécanisme, d’où : dénégation, mauvaise foi. Un déterminisme technique par antiphrase. Critique de l’ethnographie tacite des “oral poetry studies,” trop dépendante d’une valorisation d’une différence oral/écrit qui ne correspond pas aux données rapportées du terrain.

  1. “Mot à mot”

Comment transcrit-on? Sait-on ce qu’on fait en notant un texte oral? Le mot, artéfact d’une technologie. La théorie linguistique des aèdes. Les unités de composition; l’identité et la différence considérées au point de vue d’une autre technologie de la reproduction des textes. Comment faire mieux que l’écriture: rappels, liens, tabulations.

  1. Au fil du temps: sutures

La rencontre du texte oral et de l’imprimé. Henri Estienne, Ludolf Küster: qui sont les rhapsodes? Le texte homérique et l’ennui du typographe: pourquoi tant de formules? Naissance du cliché, de la propriété littéraire, de la parodie. Les médias et les technologies selon les commentaires pindariques.

Chapitre III. Autographie

  1. L’oreille inscriptrice

Léon Scott (1858): invention d’un mécanisme pour transcrire la parole sans passer par l’alphabet. Marey. Les choses parlent d’eux-mêmes.

  1. “La parole est un mouvement”

Pierre-Jean Rousselot (1882), disciple de Marey. La dialectologie, science des différences infimes. La parole, au sens de Saussure, captée par une écriture sans mots et sans playback. Le corps, la matière, le temps, l’inscription.

  1. Le patois de Parnasse

L’alexandrin existe-t-il en dehors d’une fiction normative? La phonétique expérimentale au secours du vers libre. Le vers traditionnel n’a pas vraiment douze pieds, et le vers libre comporte symétries et césures.

  1. Une différence de quinze cycles

Le corps humain, instrument de réception et de production de vibrations. Une esthétique physiologique, une psychologie musculaire.

Chapitre IV. Le gramophone humain

  1. “Errores Modernistarum”

L’arrivée tardive de la philologie biblique allemande en France. La philologie contre la foi. Le Vatican contre les “modernistes.” La condamnation (1907) de Loisy.

  1. L’évangile du mouvement

La récitation orale selon Jousse, une réponse à la philologie iconoclaste de Renan et de Loisy. L’évangile ne résiderait pas dans les textes écrits, mais dans un registre aujourd’hui perdu de gestes et de mouvements. “Nous avons les paroles mêmes de Jésus.” Les moyens de mémorisation plus forts que la mort.

  1. Une galerie de squelettes

La Psychologie de la Récitation au temple de l’anthropologie physique. L’ambition: faire du mimétisme une loi physique de l’organisme humain, tout comme l’inscription d’un contenu dans une série de gestes lui donnerait corps et un moyen de propagation.

  1. “Quatre juifs obscurs”

La valorisation de l’oralité contre la glorification maurrassien de Rome. Un certain philo-sémitisme rencontre le renouveau juif ; déchristianisation de l’évangile.

  1. La civilisation gallo-galiléenne

Dans la France occupée, une lecture de l’histoire à contre-pied. Le front uni des Druides et des Mères. Le retour de l’oralité.

Chapitre V. L’inscription corporelle

  1. La science des matériaux

Le corps humain, support d’inscriptions. L’esprit humain comme surface écrite. Quelques “lois” de l’écriture sur cerveaux vivants.

  1. Des techniques du corps

Mauss (1934): le corps, premier outil. Transmissions des savoirs par et sur le corps. Merleau-Ponty et l’homme sans projets. Le projet, unité d’inscription de la technique mémorielle qu’est la littérature orale. Perspective de reconstitution d’un paysage mnémonique pour la récitation épique. Bricolage, Traumarbeit. Le corps du récitant, le corps du texte. La littérature orale aura été le lieu d’expérimentation pour tant d’avant-gardes artistiques ou théoriques du XXe siècle parce qu’elle a le pouvoir de dissoudre et de reformer les unités mêmes dont dépendent les autres médias de notre modernité.

Bibliographie

Illustrations et légendes