Tolérer, et non seulement

Les Saussy d’Amérique descendent d’une poignée de réfugiés. J’en suis fier. Et je reconnais que l’histoire est toujours plus compliquée qu’un dessin animé où les bons et les méchants sont faciles à reconnaître. Quelques réfugiés, parmi les millions de malheureux sur la planète, ont bénéficié d’un calcul, à la fois intéressé et généreux, de la part du gouvernement anglais du dix-huitième siècle qui leur a donné l’asile. John Locke a fourni les arguments de principe qui étayaient l’engagement diplomatique. Un livre récent de Teresa M. Bejan reconstitue la situation de fait autour de la Lettre sur la tolération de 1685 et en examine les conséquences pour nous. La séparation de l’église et de l’état fondait pour Locke la doctrine des droits de l’homme:

As Bejan notes, in the Letter Concerning Toleration (1685), Locke advocated a conceptual separation of church and state. The civil magistrate’s only duty, he asserted, was to “secure unto all the people in general, and to every one of his subjects in particular, the just possession of these things belonging to this life.” He concluded, “nobody therefore, in fine, neither single persons, nor Churches, nay, nor even commonwealths, have any just title to invade the civil rights and worldly goods of each other, upon pretence of religion.”… For Locke and other tolerationist authors, then, state persecution was not just a violation of individual rights, but also a decision to treat individuals in an inhumane, uncharitable, and harmful manner.

Le compte-rendu de Catherine Arnold vire sans prévenir de ce sommaire anodin vers le registre de l’accusation: “John Locke is the villain of Bejan’s story: She argues that Locke-inspired calls for disagreement based on mutual respect and affection restrict public debate by excluding those who do not embrace these values.” Un point, donc, où il subsiste un certain suspense qui ne sera résolu que par la lecture effective du livre. Mais à partir de ce qu’en dit Arnold, on peut prévoir quelques motifs derrière la mise en cause de Locke, “le méchant dans cette histoire.” Bejan préconise-t-elle une tolération sans limites, qui tolère aussi bien ceux avec qui nous avons un accord fondamental que ceux pour qui la tolération elle-même est une hérésie à détruire (problème à la fois logique et opérationnel)? Ou veut-elle partir de la proposition que l’interventionnisme est en soi un mal dont la motivation par “le sentiment d’humanité” serait à critiquer?

Depuis le jour où Bejan a renvoyé le bon à tirer, je soupçonne, la donne a quelque peu changé. Dans un monde où Obama ou Hilary seraient les décideurs, la constellation philosophique autour de l’humanitaire gravite autour du besoin de déterminer où, précisément, le mieux devient l’ennemi du bien. On aurait alors de bonnes raisons de discuter la question pour savoir si les bénéficiaires de notre politique d’inclusion sont suffisamment “divers” quant à nous pour que notre inclusion soit véritablement inclusive. Dans un monde où l’action diplomatique, militaire, et humanitaire américaine est décidée par une politique orientée sans ambages par la discrimination de race, de croyance, de nationalité et de revenu, la leçon de Locke est, hélas, de nouveau nécessaire.