Dans l’univers comme dans un salon

“– Eh bien donc, lui dis-je, puisque le soleil, qui est présentement immobile, a cessé d’être planète, et que la terre, qui se meut autour de lui, a commencé d’en être une, vous ne serez pas si surprise d’entendre dire que la lune est une terre comme celle-ci, et qu’apparemment elle est habitée. 

— Je n’ai pourtant jamais ouï parler de la lune habitée, dit-elle, que comme d’une folie et d’une vision. 

— C’en est peut-être une aussi, répondis-je. Je ne prends parti dans ces choses-là que comme on en prend dans les guerres civiles, où l’incertitude de ce qui peut arriver fait qu’on entretient toujours des intelligences dans le parti opposé, et qu’on a des ménagements avec ses ennemis mêmes. Pour moi, quoique je croie la lune habitée, je ne laisse pas de vivre civilement avec ceux qui ne le croient pas, et je me tiens toujours en état de me pouvoir ranger à leur opinion avec honneur, si elle avait le dessus ; mais en attendant qu’ils aient sur nous quelque avantage considérable, voici ce qui m’a fait pencher du côté des habitants de la lune.” 

(Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, second soir)