Même Pas le début d’un débat

Chers amis de Berkeley, si vous êtes d’accord pour dire que le “Muslim ban” fait le lit de Daesh en formalisant une gué-guerre entre les États-Unis et l’islam, pourquoi avez-vous choisi d’exclure de votre campus un petit néo-facho du nom de Milou Ygrec? Cela fait aussi bien le lit de Fox News et du dictateur-en-herbe, qui aiment tant à se poser en victimes et qui auront maintenant le prétexte de vous peindre en ennemis du droit à l’expression, vous le savez?

Vous vous êtes peut-être dit qu’il ne fallait pas donner une plate-forme à ce personnage de la droite raciste. Eh bien, voilà qu’en résiliant l’invitation à son égard, vous l’avez comblé de publicité gratuite. Ces gens-là ne demandaient pas mieux.

Il aurait été plus astucieux de le laisser venir, puis de le descendre (intellectuellement, dis-je, non physiquement) par quelqu’un de sensé. Imposer comme condition préalable qu’il soit confronté à une opinion contraire, l’obliger à répondre aux questions du public. (Et lui faire payer les dépenses de la sécurité, car une bonne et grande manifestation pour protester aurait été de mise.) Je ne crois pas qu’il s’en serait tiré facilement, car vous êtes des penseurs, n’est-ce pas, vous avez sous la main les faits et les chiffres pour démontrer que l’idéologie de la droite facho repose sur des balivernes, ou je me trompe? L’université est faite pour ça. Si Ygrec pensait faire un meeting de campagne, vous n’aviez qu’à lui montrer que la parole à l’université est toujours soumise à la réponse et à la vérification. Lui interdire la parole, c’est une manière de dire que vous avez peur de lui, et ça, je ne veux pas le croire.

Et pensons stratégie. Taper sur Berkeley est terriblement populaire dans ce pays. C’est ainsi que Reagan a gagné sa réputation nationale en 1968. En promouvant l’auto-victimisation d’un réac à la petite semaine, vous avec peut-être gagné une de ces batailles qui font perdre les guerres– ou qui, au moins, vous enlisent dans une lutte prolongée qui n’était pas nécessaire sur le “politiquement correct,” écran de fumée qui profite exclusivement aux fascistes.

Une lutte sur les faits, d’accord. Une lutte sur l’opportunité de confronter les faits et les mensonges, non. Il est toujours opportun de tenir ce débat.

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(Bien sûr, il y a une ligne à ne pas laisser franchir. L’incitation à la violence ne doit pas être, à mon sens, permise, car elle s’érige contre le droit de parole des autres. Il faudrait prévenir tout conférencier qu’au moment de proférer des paroles qui ne respectent pas les droits fondamentaux des autres, son micro sera coupé et l’événement sera terminé. Mais prétendre que tel personnage, en considération de ses opinions, incarne un danger aux autres et que sa parole est d’elle-même la violence en acte, cela revient, je crois, à donner trop d’importance, trop de pouvoir, à ces dictateurs de carton, et c’est encore réaliser leurs ambitions. N’alimentons pas les trolls!)